Quelques mois après la mort de Lucien et après avoir affronté la lourdeur bureaucratique des banques et du ministère du revenu sans testament ni papiers en ordre, Annette avait demandé à Roger d’être son exécuteur testamentaire. Elle ne souhaitait laisser à personne de se retrouver comme elle, au cœur des « Douze travaux d’Astérix ». Roger était rigoureux, elle avait pleinement confiance en lui.

Malgré la peine, le chagrin et le doute qui le rongeait (Annette serait-elle morte s’il n’avait pas révélé son lien avec Lucien?), Roger se levait tous les matins avec sa liste de chose à faire; d’abord les funérailles pour lesquelles Annette avait été très claire et directive : incinération, (pas question que quiconque fasse de commentaires sur la façon dont on l’avait embaumée et maquillée), une célébration intime et festive avec des bulles et des huitres et aucune cérémonie religieuse, point sur lequel le notaire avait beaucoup insisté à la lecture du testament. Puis, il fallait fermer les comptes de banque, disposer des actifs, payer les impôts etc.

Lors de la lecture du testament, Roger avait appris que celui d’Annette avait été changé un mois avant sa mort. Sa plus récente version stipulait qu’elle léguait 70% de ses avoirs à un certain Martin Jolicoeur vivant à Gaspé et l’autre 30% à Bianca, André et lui-même. Une lettre remise au notaire au même moment devait être postée le plus rapidement possible.

Monsieur Martin Jolicoeur

Boite Postale 82

Gaspé, Québec

G4X 1S0

Elle vous a dit qui était cet homme? demanda Roger au notaire. Nous sommes amis depuis plus de 20 ans et elle ne m’en a jamais glissé mot.
Non, et je n’ai pas posé de question. Vous n’avez vraiment aucune idée?
Je vous jure sur la tête d’Annette que je n’ai jamais entendu parler de Martin Jolicoeur et j’avoue être particulièrement intrigué qu’Annette lègue 500 000$ à un parfait inconnu. Me donnez-vous 24 heures pour effectuer quelques recherches ?
24 heures, pas plus, ce n’est pas votre rôle de remettre en question les volontés de Mme Annette.
Mais je ne les remets pas en question! Je veux juste m’assurer qu’il n’y a rien de louche ou de malhonnête dans cette histoire.
Si ça peut vous rassurer, elle me semblait très lucide et calme lorsqu’elle m’a rencontré. Et de plus, comme vous étiez présent lorsqu’elle s’est étouffée, ça ne peut donc qu’être une coïncidence, non? Enfin, je vous accorde tout de même jusqu’à demain.
Merci Maitre Poitras, je serai ici demain à 15 :00. J’irai poster la lettre sur le champ afin qu’elle parte à la dernière levée du courrier vers 16 :45. Je vous rapporterai même une preuve de l’envoi si vous le souhaitez.
À demain alors, bonnes recherches!

Roger se dirigea en trombe vers le café le plus proche, il s’enquit du code wifi, consulta son ami Google et tapa Martin Jolicoeur+ Gaspé.

Étonnamment, il y avait trois Martin Jolicoeur à Gaspé; un garagiste, un chercheur au MAPAC (ministère de l’Agriculture, des pêcheries et de l’alimentation) et un coiffeur.

Roger transféra toutes les informations à son courriel personnel et retourna au condo d’Annette dans l’espoir d’y trouver un indice qui lui permettrait d’identifier le Martin Jolicoeur et d’en apprendre plus sur leur relation.

Pendant trois heures, il avait épluché tous les documents du classeur d’Annette et tous les tiroirs de son bureau, mais en vain. Il avait ensuite ouvert son ordi et été intrigué par un dossier intitulé Sœurs St-Paul de Chartes. Il s’était soudain souvenu avoir vu dans des papiers parcourus plus tôt qu’Annette y avait fait ses études secondaires. C’était il y a plus de cinquante ans, pourquoi aurait-elle conservé un dossier en leur nom sur sa page d’accueil? Il ouvrit le document, et, à sa grande surprise, il contenait un fichier nommé Martin Jolicoeur.

Il fixait le document mais était complètement paralysé, qu’apprendrait-il sur la vie de sa meilleure amie? Il prit son courage à deux mains et cliqua :

Bonjour Martin,

Si tu reçois cette lettre aujourd’hui, c’est que je suis décédée sans n’avoir pu jamais te serrer dans mes bras,mon fils.

Tu as bien lu, je t’ai mis au monde le 15 novembre 1972 mais les Sœurs de Chartes t’ont arraché à moi dès ta naissance, je n’avais ni prénom, ni nom pour te chercher; ce que j’ai passé ma vie à faire en secret.

Il y a quelques années, après avoir essayé par tous les services gouvernementaux disponibles, j’ai engagé un détective qui s’est lui aussi buté au système. J’en ai engagé un second, qui n’avait trouvé aucun enfant né à Gaspé à cette date et même remis ma mémoire en cause… On n’oublie pas la date de naissance de son enfant! Mais récemment, j’ai moi-même fini par trouver un filon qui semble le bon.

En principe si tout se passait bien, je devais réussir à te voir le 15 novembre 2022. Mais il semble que la vie en ait décidé autrement…

C’est mon meilleur ami Roger, mon exécuteur testamentaire, qui te fera parvenir cette lettre. Il sera en contact avec toi sous peu.

Ta maman qui n’a jamais cessé de rêver te retrouver.

Je t’embrasse tendrement.

Annette xx