Eléonore se demanda si elle n’était pas en train de rêver. Elle vibrait d’une émotion à l’autre. D’un côté la colère envers Nils qui s’était permis de montrer ses textes sans lui demander son avis (!!) et de l’autre la fierté de voir que ses écrits pouvaient plaire .

- Enfin, Nils comment as-tu pu me faire ça ? C’est vraiment pas cool ta façon de faire ! Je me sens trahie à un point que tu ne peux imaginer.

- Ecoute darling arrête de faire ta gamine ! Si je t’avais demandé la permission de montrer tes textes, tu n’aurais jamais accepté et encore une fois tu serais passée à côté d’une occasion unique ! Combien de fois ai-je du te forcer un peu la main pour que tu ailles au bout des choses et que tu aies confiance en toi ? Come on !

Nils avait raison, Eléonore en était consciente, n’empêche qu’elle avait l’impression de s’être fait piéger et d’avoir été “dévoilée” à son insu. Elle n’aimait pas ce sentiment de ne plus avoir le contrôle.

Et d’abord elle n’avait jamais eu l’ambition de publier ses écrits, elle écrivait pour elle et n’avait jamais imaginé un potentiel public de lecteurs. Si Nils avait eu accès à ses notes c’est uniquement parce qu’il avait insisté et qu’il était son meilleur ami.

Nils la regardait bouder et n’était pas surpris de sa réaction. Elle avait toujours besoin d’un temps de latence avant de reconnaitre qu’il avait raison et d’accepter ses propositions. Il connaissait Eléonore par cœur, ce n’était pas la première fois qu’il devait / avait du un peu la brusquer en prenant les choses en main. Il était persuadé qu’elle avait du talent et que l’écriture allait lui permettre de démarrer une autre vie. En tant qu’ami il avait décidé de tout faire pour lui ouvrir les portes du monde de l’édition. Il avait pour cela contacté son réseau et Michel avait répondu favorablement. C’était une véritable chance que son ex-femme soit dans ce milieu.

Eléonore, une fois sa colère passée, se surprit à rêver, et à imaginer un destin à la J K Rowling…si seulement elle avait son talent ! Mais, c’était peut-être là, un nouveau chapitre à écrire (!) elle allait amorcer la seconde moitié de sa vie, ne devait rien à personne, et n’avait rien à prouver alors pourquoi ne pas tenter l’aventure et sauter sur cette occasion ? Rien que d’y penser, ce projet d’écriture la faisait vibrer.

Sacré Nils, il la connaissait vraiment mieux que personne et ses conseils étaient la plupart du temps très pertinents, mais ça, elle était trop fière pour le verbaliser.

-C’est ok Nils, j’ai assez perdu de temps, j’ai très envie de mettre un peu de piment dans ma vie plan plan ; je compte sur toi pour m’organiser une rencontre avec l’ex-femme de Michel. D’ici là, je vais consacrer une partie de mes nuits à terminer mon roman et j’ai déjà pas mal d’idées au sujet de certains personnages !

- Comme j’ai hâte de le lire Honey ! Je te jure que tu ne regretteras pas ta décision. Ta vie va changer du tout au tout, grâce à ma baguette magique !

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HUIT MOIS PLUS TARD

Le salon du livre de Lausanne ouvre ses portes à 10h et déjà une grappe de visiteurs attend patiemment et ne raterait pour rien au monde ce rendez-vous annuel. Certains ont pris leur journée et parcouru plusieurs kilomètres. La plupart sont des habitués des émissions littéraires, certains ont sous le bras un roman à dédicacer, d’autres échangent sur le dernier ouvrage de Stephen King, enfin un groupe de fan féminines viennent pour rencontrer Douglas Kennedy leur auteur préféré. Les visiteurs arrivent de plus en plus nombreux, sous une pluie battante. Un frémissement d’impatience se fait sentir, il est 10h02 et les portes ne sont toujours pas ouvertes.

A l’intérieur, les auteurs s’installent à leur table respective. Eléonore est fébrile, c’est son premier salon et même si les critiques littéraires ont été plutôt encourageantes avec elle, son manque de confiance reprend le dessus sur l’euphorie de départ. Cette première rencontre avec ses lecteurs sera révélatrice de la suite qu’elle donnera ou pas à son avenir. C’est une expérience qu’elle assimile à une sorte de rite de passage. Son écriture a t’elle séduit ? Ses personnages ont ils rencontré leur public ?

En prenant place à sa table, elle réalise qu’à côté d’elle se trouve déjà Amélie Nothomb, qui lui adresse un sourire chaleureux et bienveillant. Eléonore n’en revient pas, jamais elle n’aurait imaginé vivre ce qu’elle est en train de vivre ! La voilà elle aussi sur le devant de la scène à côtoyer les auteurs connus et adulés. Elle ne peut s’empêcher de se trouver illégitime. “Ah, shit encore cette foutue tendance à se sous-estimer, je ne m’en sortirai donc jamais?” Son ami Nils lui manque, lui seul saurait la rassurer et la remettre sur les rails. Il lui a envoyé un message de félicitations ce matin. Il ne pourra la rejoindre que dans l’après midi. Eléonore n’a plus le temps de s’apitoyer sur son sort, déjà les premiers lecteurs approchent et se dirigent vers le stand d’Amélie.

A une vingtaine de mètres de là, un homme adossé à l’un des piliers de l’entrée, observe attentivement Eléonore. Il affiche un sourire fugace, à peine perceptible. Une file d’attente est postée devant la table d’ Eléonore. Visiblement, son roman rencontre du succès, elle enchaine les dédicaces, adresse un petit mot à chacun, et prend le temps de répondre aux interrogations qui lui sont posées par les uns ou les autres.

L’homme, lui, préfère rester à distance, il n’aime pas ce côté fan club qui se presse pour obtenir une dédicace. Agacé, il préfère quitter les lieux.

Il est déjà 17h, l’animateur du salon annonce au micro que les portes fermeront dans une heure. Eléonore n’a pas vu le temps passer, elle est ravie et lessivée par ce qu’elle vient de vivre. Elle a terminé les dédicaces et les retours ont été très fructueux. Une voix familière l’interpelle :

- Elé, darling, I’m here !

Nils vient dans sa direction, un bouquet de roses dans les bras :

- Regarde, it’s for you, le livreur est arrivé en même temps que moi et quand j’ai vu qu’il t’était adressé, je lui ai proposé de te le porter en mains propres. Dis donc cachottière, un nouvel admirateur ?

Eléonore, tout à la fois intriguée et flattée, récupère le bouquet et aperçoit une petite carte agrafée au papier.

“Toutes mes félicitations, j’ai adoré votre roman”. A la vue de la signature, “HM “, Eléonore blêmît.