Le souffle court, Clémentine, ou plutôt…”Clem”, comme l’appelait sa meilleure amie, s’assit dans son lit, à peine réveillée, : la peau toute moite, du cauchemar où elle s’était retrouvée seule et perdue dans le noir.

Le regard fixe et immobile, elle resta un long moment sans réaction, tentant de remettre ses esprits en place. Dans ce rêve, Brad, son ami, avait été indifférent à son désarroi malgré qu’elle avait senti sa présence. Elle éprouvait encore de la difficulté à chasser l’impression étouffante qu’elle avait ressentie. Tout dans ce rêve lui avait paru si réel, la proximité de Brad qui ne se montrait pas, surtout le sentiment d’abandon qui l’avait presque paralysée.

En réalité, cela faisait déjà trois mois que Brad était absent. Elle l’avait conduit à l’aéroport P .E .T de Dorval alors qu’il avait pris un vol pour l’Espagne mais avait refusé de lui révéler sa destination finale ou la raison de son départ. Cette attitude l’avait inquiétée pendant plusieurs semaines, puis devant son silence, elle avait commencé à lui en vouloir de ne donner aucun signe de vie. Au moins, si elle avait connu la famille de Brad , qu’elle aurait pu appeler. Par ailleurs, il lui était impossible de contacter le seul ami qu’elle lui connaisse et, lui aussi à l’étranger. En fin comme Brad travaillait à son compte elle avait dû se résigner à attendre de ses nouvelles.

Sans doute ce rêve où, perdue et seule, elle cherchait Brad, était-il la caricature de sa situation réelle où à quarante ans, elle se retrouvait seule, cherchant une présence masculine malgré sa confiance en elle-même.

Il est vrai que Brad, bien que toujours disponible et attentionné, sauf pour ce départ abrupte vers l’Espagne ne lui avait fait aucune promesse; alors de quel droit attendait-elle qu’il soit obligé de rester en contact. De quel droit lui faisait-elle des reproches. Il avait droit à son indépendance et c’était entièrement son scénario à elle qui imposait à son ami d’abandonner sa liberté pour lui plaire.

Elle eut tout à coup un peu honte et trouva ridicule son attitude possessive et se reprocha de ne pas suivre sa règle de conduite habituelle: celle qui lui avait permis d’être totalement indépendante face aux hommes. Grâce à sa mère, elle avait terminé des études en droit avec succès. Depuis quinze ans, elle défendait au tribunal des criminels peu fréquentables qui ne l’intimidaient pas et ne se liait jamais avec eux. Peut-être ce comportement avait-il contribué à l’isoler et à faire d’elle une femme solitaire bien qu’active et sportive.

Malgré elle, Brad avait su abattre ses barrières et Clem se mit à s’en vouloir. Elle n’allait pas se mettre à faire des cauchemars à son sujet et se mettre à perdre tous ses moyens pour se retrouver comme une petite sotte cherchant son réconfort et sa présence.

Elle sauta hors du lit d’un seul bond et se dirigea vers sa salle de bain, bien décidée à n’accorder aucune importance à ce rêve et à oublier l’absence de Brad. À peine avait-elle enlevé le pyjama ridicule dont l’odeur témoignait de l’état d’excitation où l’avait mise son cauchemar qu’elle entra dans sa douche pour retrouver son assurance habituelle.

Le jet chaud de la douche de type “pluie” installée au dessus d’elle, lui faisait l’effet d’une caresse sensuelle et elle resta un long moment à jouir de ce rituel matinal qu’elle appréciait d’autant plus qu’aucun enfant ou conjoint ne venait le perturber. Cheveux bien propres, le corps sentant la lavande, elle fit face au miroir qui occupait tout le mur entre la douche et le bain. Elle se trouva plutôt bien pour son âge: les seins encore fermes et galbés, le ventre bien plat, les fesse rebondies et des jambes longues et bien droites.

Regardant autour, elle se dit qu’elle aimait vraiment cette salle de bain, vaste, aux murs recouverts de tuiles d’un léger gris rose, importées d’Italie expressément pour elle. La salle de bain, comme tout le reste de l’appartement, témoignait des choix coûteux et extravagants qui embellissaient son condo, d’ailleurs avantageusement situé à deux pas des bureaux de la firme Talbot-Bourget et Nicholls, avocats dans le secteur le plus prisé du centre-ville. L’acquisition de ce condo de plus de deux mille pieds carrés au prix d’un million de dollars avait été, à ses yeux et à ceux de son entourage la consécration de sa réussite professionnelle et de son indépendance financière.

Par ailleurs, elle se plaisait à croire que sa participation aux jeux en pleine nature sauvage avait aussi une grande importance. Elle possédait deux autos dont une Audi TT-RS et un Jeep Wrangler Sahara développant 470 chevaux, un monstre. Elle aimait se donner ce sentiment d’être tout aussi à l’aise dans une forêt profonde que dans son salon richement meublé ou au volant de sa voiture sport.. C’était d’ailleurs dans cette dualité qu’elle puisait son assurance face aux criminels qui requéraient ses services ou aux associés de la firme qui ne cessaient de lui faire des avances qu’elle esquivait avec élégance.

Quand elle passa à la cuisine, les cheveux, qu’elle portait très longs, élégamment enroulées dans un immense serviette blanche, le corps encore humide sous son peignoir de satin bleu profond, l’odeur du café, préparé automatiquement lui rappela qu’elle avait rendez-vous dans un peu plus d’une heure au bureau de la firme Talbot-Bourget et Nicholls, avocats. Elle consulta sa tablette où aucun message d’importance ne figurait puis savourant son croissant au chocolat, elle s’intéressa aux nouvelles de dernière heure sur son fil de presse. Elle passa très vite sur les titres sans importance, puis un gros titre retint son attention…