Et merde ! Il n’y a pas grand-chose à faire.

François nous attend tout sourire devant la prison et s’exclame, ravi de voir débarquer quelques minutes plus tard le maudit Scott.

-Et mon gars, quelle bonne surprise ? Comment ça se fait que t’es là?

-Oh, j’ai su que tu sortais par Larose.

Larose, il savait ça ? Mais comment ?

-Par ta gentille sœur répond sarcastiquement Scott que je gratifie d’un regard noir. Je n’ai pas vu leur ami Larose depuis des lustres.

-Et les gars, pourquoi on n’irait pas prendre une bière à La Souche pour fêter ça ? C’est sur le chemin, t’as sûrement ben des affaires à me conter mon Scotty.

Ben oui, pourquoi pas. Je fulmine intérieurement. Pas question que je laisse ces deux-là en tête-à-tête. Marc a bien compris le problème et hausse légèrement les épaules ce qui signifie, je crois, faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Une (ou deux) petites bières de microbrasserie ne sont pas pour lui déplaire en cette fin de dimanche après-midi et après tout ce magasinage.

On débarque donc à La Souche : atmosphère bon enfant, beaucoup d’étudiants puisque c’est situé à Limoilou, près du CEGEP.

Je suis accueillie par des salutations enthousiastes de la serveuse qui est une bonne amie de ma belle-fille.

Scott et Francis sont étonnés

-Ma bourgeoise de sœur est une habituée ? m’interroge François sarcastique.

On jase, on jase, et je vois Scott remettre subrepticement un petit sac à François penché vers lui. Je fais mine de rien, mais j’ai tout vu.

Après trois bières - je les ai comptées - on se sépare du damné Scott. Les deux compères se saluent en se donnant de grandes claques dans le dos. - On se reprend bientôt mon gars.

Je me demande bien comment François va faire pour se reprendre. Il n’a pas d’auto et ne peut pas conduire car son permis lui a été retiré pour une certaine période, il y a quelques mois. Alcool au volant répété et ce n’est certainement pas moi qui vais le conduire.

De retour à la maison, j’ai une franche et orageuse discussion avec mon frère. Il m’apprend que :

· Scott lui a donné un sac de champignons magiques pour sa consommation personnelle et lui a plus ou moins proposé d’en vendre un peu de ci de là contre rémunération.

· Son ex-blonde, chez qui il continuait d’habiter à Deschambault, lui a demandé plusieurs fois de quitter. Il n’a donc plus de domicile.

· Il espère pouvoir habiter chez-nous jusqu’au moment où il se trouvera du boulot.

Catastrophe totale ! Que faire! Ce n’est sûrement pas ma sœur Marianne qui va l’héberger. Son mari ne le tolère pas, non plus que le mien d’ailleurs. Que faire! C’est quand même mon frère. Nos parents décédés l’ont toujours protégé et ont couvert ses errances, mais ils ne sont plus là.

Le lendemain, après une belle grande marche automnale au parc des Chutes-de-la-Chaudière, je retourne à la maison. Que c’est donc apaisant de marcher dans l’air vif et frais de l’automne en contemplant les eaux aussi furieuses que moi couler en bas de la rivière. On dirait que le grondement sourd de l’eau m’apaise un peu.

Surprise, Lauréanne est là tout sourire. - J’ai fait un gâteau aux tomates vertes, les enfants. Vous allez vous régaler !!!

François n’est pas encore revenu de la Beauce. L’autobus arrive vers 18 h. Le temps qu’il nous rejoigne à pied de la gare, on a le temps de discuter un peu.

C’est Marc qui ouvre le bal.

-Tu sais Maman, ça m’inquiète un peu que tu vives seule. Tu perds souvent l’équilibre, ta mémoire courte est de plus en plus courte (elle rit). Tu as des petits travaux à faire dans le jardin et dans la maison et je te le dis, tu ne peux plus les faire toi-même.

Lauréanne rit un peu moins :

- Tu veux me placer? s'exclame-t-elle.

-Non, je veux te proposer une solution temporaire en attendant de voir comment ça évolue.

-Je suis intriguée, quelle est donc cette solution temporaire ?

- Le frère de Brigitte, François, est sans domicile pour l’instant. Si tu l’hébergeais dans ton sous-sol qui a été converti en logement dans le temps, il pourrait en retour faire des petits travaux et peindre ton salon, tu en parles depuis tellement longtemps. (Marc retarde le moment de le faire lui-même depuis encore plus longtemps). Ce serait une présence avec toi dans la maison.

-Ouin, peut-être. Il est aimable François, il parle beaucoup, mais bon, au sous-sol, je ne l’entendrais pas. Est-il d’accord ? Je vais y penser, mais l'idée me plaît.

Blottis dans le lit conjugal et émue par la gentillesse de mon mari, je lui demande:

-Comment peux-tu faire assez confiance à mon frère pour lui confier ta propre mère?

-Ton frère n’est pas méchant, j’en suis convaincu. Beaucoup de voiles, aucun gouvernail. Comment veux-tu qu’il s’en sorte si personne ne l’aide. En plus, ma mère m’inquiète, une présence auprès d’elle est devenue nécessaire. Il va devenir bien gras ton frère, ma mère va lui faire plein de douceurs sucrées. Et Claudine, tu aurais pas vraiment l’esprit tranquille s’il devenait un sans-abri, termine-t-il d’un ton plus sérieux.

C’est vrai. C’est ce qu’il serait devenu s’il n’y avait pas eu sa famille me dis-je intérieurement. Surtout en me remémorant la difficile période de son cancer, heureusement derrière lui.

-Bon d’accord, mais on le surveille étroitement. Il doit abandonner l’idée des champignons magiques et tout autre commerce de substances illicites. Je n’ai aucune confiance en Scott qui a pas mal d’influence sur lui.

***

Benedictus, Benedictus qui venit in nomine Domini

-Non non, les sopranos 2 vous ne débutez le Do o o o mini qu’après le nomine des altos. Allez, on fait la pause, de retour dans 15 minutes. On remercie Jeanne pour ses biscuits maison.

Et oui, il est toujours de coutume qu’une d’entre nous amène quelque chose à boire ou à manger pour la pause. Cette fois-ci, c’est Jeanne qui s’en est chargé. Justement Lauréanne qui participe de sa voix chevrotante à la pratique s’amène tout sourire pour la féliciter. Il faut dire que c’est une fine cuisinière mon amie. Une «foodie» finie dont l’idole est Ricardo. Il n’y a rien qu’elle ne ferait pour son idole. On l’agace toujours affectueusement là-dessus.

-Alors Lauréanne, il paraît que tu as un nouveau colocataire ? lance-t-elle à ma belle-mère.

J’ai mis Jeanne au courant. C’est la seule, avec mon mari et ma sœur, qui peut comprendre ce qu’ont été les dernières années. La charge émotive, le sentiment de culpabilité constant que j’éprouvais face à ce frère sur qui la vie s’acharnait, non sans raison bien sûr , mais quand même. Les ennuis judiciaires, les difficultés d’adaptation à ses emplois et finalement le cancer des os qui l’a atteint et l’a laissé sans le sous, sans travail et seul, il ya quelques années. Mais comment se fait-il qu’il ait tourné ainsi? Pourtant ma sœur, moi et mes deux autres frères qui vivent à l’étranger sommes issus des mêmes parents et avons eu la même éducation. Que s’est-il donc passé ?

Nous avons toujours pensé, Jeanne est du même avis, que c’était un problème psychiatrique. Pourtant, le psychiatre qui l’a vu pendant sa maladie n’aurait, selon François, rien noté de grave. J’admets que c’est selon François, les dossiers étant confidentiels. Je sais aussi qu’il a l’intelligence de dire les bonnes choses au bon moment. N’empêche…

Lauréanne répond aimablement.

- Ma chère, il rouspète et sacre pas mal, mais il a repeint mon salon et s’attaque aux fenêtres de la salle à manger. Il n’est pas facile, mais il est quand même drôle et a toujours quelque chose à raconter. Il travaille fort à se trouver un emploi. Il a une formation avec les gens du chômage pour bien organiser son CV, il est architecte quand même. En plus, il dit qu’il veut venir voir la chorale en action à la prochaine porte ouverte culturelle qu’organise la ville.

-Au fait, tes biscuits au gingembre sont délicieux ma chérie. La semaine prochaine c’est moi qui amène mon mélange de thé maison. Je fais beaucoup de recherches et d'expériences et ils sont bien meilleurs que ceux de Davidstea.

***

Déjà une semaine qui a passé. Elle n’a pas été de tout repos. Scott est revenu rôder et François l’a invité dans son sous-sol. C’est Lauréanne qui me l’a confié. Ma soeur Marianne et moi avons convoqué notre frère pour une sévère mise au point. J’ai préféré laisser Marc en dehors de ça.

- Écoutez les filles, je ne suis pas cave, je sais ce que je risque si je me fais pogner, mais j’ai besoin d’un peu d’activité. Je suis quand même stressé. Je regarde sous la voiture de ta belle-mère quand elle me conduit quelque part pour être sûr qu’il n’y a pas une bombe dessous. Tu ne t’imagines pas ce que les gars que j’ai balancés peuvent faire. Ils ont des petits copains et ont la mémoire longue. Scott me tient un peu au courant.

Une bombe sous la voiture de ma belle-mère, je suis soufflée, c'est le cas de le dire. Même s’il repassait son permis de conduire, car l’échéance de la suspension approche, François n’a pas les moyens d'acheter une voiture. Et ce n’est pas plus drôle que la sienne saute. Et merde, dans quoi je me suis encore foutue. Exagère-t-il?

La voix de ma chef de chœur me ramène à l’ordre :

- Il y a une soprano qui ne chante pas dans le ton les filles. Bon, pause pour tout le monde et on a une dégustation de thé ce soir grâce à notre doyenne, Lauréanne.

Tout le monde fait infuser son thé dont l’odeur est vraiment agréable. Son goût est aussi très original.

-Faites-le infuser longtemps. Il est meilleur bien fort, conseille Lauréanne, toute fière de faire étalage de son savoir-faire. Le thé est une passion chez elle, et ce depuis toujours. Elle est surprenamment inventive à ce niveau, pour une dame de son âge.

-Tu fais tes mélanges toi-même?, demande une dégustatrice.

-Et oui. Je mélange divers ingrédients et je lis tout ce que je peux sur le sujet. Le thé, c’est une potion magique, dit-elle en riant.

La seconde moitié de la pratique débute.

Je me sens beaucoup plus détendue, mes soucis s’envolent, c’est bien vrai que le thé et la musique réconfortent. Je suis envahie d’une douce euphorie. Les sopranos semblent animées d’une plus grande unité, d’une plus grande force. Les sopranos se mettent à inventer une nouvelle trame musicale, alors que notre chef de chœur rit des pitreries d’un ténor qui force la note et fait un solo qui n’a pas été prévu. Un doute horrible germe dans mon cerveau embrumé … potion magique ???