Ce matin n’était pas différent des autres. Après avoir mangé, il laissa le montant plus pourboire sur la table et se dirigea vers la porte. Les deux petites marches extérieures étaient toujours un peu difficiles à descendre, elles étaient étroites et sans rampe, il avait l’air d’un bonhomme soufflé vascillant d’un côté et de l’autre bougeant ses bras pour garder son équilibre.

Juste comme il montait dans son camion, il entendit

-monsieurrrrr, criait une femme pas très loin.

- c’est à moi que vous parlez?

- oui, oui, vous me reconnaissez?

- non pas du tout, quoi que…

- vous m’avez livré un colis la semaine dernière et j’avais voulu vous donner un pourboire que vous avez refusé. Savez vous que c’est la première fois qu’un livreur refuse un pourboire.

- je suis déjà payé pour mon travail madame

Il avait maintenant à côté de lui, une femme, fin vingtaine, à la peau laiteuse et à la silhouette légèrement dodue.

-je sais bien, mais je ne sais pas si on vous a dit que vous avez une couleur rare dans les yeux.

- non, vraiment on ne m’a jamais dit ça

Il se demandait bien ce qui se passait.

Cette femme, ni belle ni laide, de corpulence moyenne et agréable, avait de beaux blonds légèrement bouclés. Elle portait des vêtements qui semblaient empruntés. Une jolie fille mais sans style.

Les traits de son visage étaient un peu tirés sur un magnifique sourire.

-vous allez me trouvez bien effrontée, mais je me demandais si vous accepteriez un café avec moi pour jaser. Sans obligation bien sûr.

- ben là je m’en vais travailler, dit-il sans avoir le temps de réfléchir.

- ben oui je sais, moi aussi. Mais on pourrait s’appeler pour se donner rendez-vous. Je vous laisse mon numéro si ça vous tente.

-mon dieu, je ne m’attendais pas à ça. Ok donnez-moi votre numéro.

Il nota bien le numéro. Ils se saluèrent et chacun pris sa direction.

Bill commença ses livraisons de la journée, un peu dans la lune. C’était quoi cette femme, une folle?

Ils s’étaient donné rendez-vous au petit bistro au bout de la rue Marquis. Mardi, 19h.

Incrédule mais curieux, il arriva avec un peu d’avance.

Il s’assied dos au mur afin de pouvoir observer tous ceux qui entreraient.

Il fit mine de ne pas l’attendre quand elle arriva près de lui. Elle avait un magnifique sourire vraiment, c’était presque gênant, le sien, son sourire à lui était gâché par une carie sur une canine. Il faudrait qu’il fasse réparer ça.

Elle lui avait dit s’appeler Béatrice, tu peux m’appeler Béa ou Betty, comme tu veux, ce sont deux surnoms que les gens utilisent.

Il avait, dans sa tête, déjà choisi Betty.

-ok, dit il avec un sourire qui ne montrait pas ses dents.

Il se sentait gêné à côté d’elle. Elle semblait si bien dans sa peau, que lui voulait elle?

Ils se mirent à causer de tout et de rien. Tout d’abord, il écoutait sans trop parler et se laissa entrainer par sa jolie façon de dire les choses, de raconter sa journée, etc.

Elle lui avoua qu’elle s’était intéressée à lui dès qu’elle l’avait vu.

-j’espère que tu n’es pas en train de rire de moi

- ben voyons, pourquoi dis-tu cela.

-je me comprends, il n’allait pas tout lui déballer ses misères, sa haine pour lui, son dégout pour sa personne, les moqueries, la tristesse.

- je vais t’avouer quelque chose dit elle

J’ai déjà pesé ton poids, je connais toute cette souffrance que tu portes.

Il était bouche bée.

Mon mari m’a laissée tomber à cause de mon embonpoint. Il me disait que les gens en surpoids le dégoutaient. Imagine toute ma peine. J’ai lutté, lutté pour le perdre ce poids comme tu penses, je crois que tu as dû faire la même chose 100 fois.

Il avait les larmes aux yeux.

J’ai vu cela dans tes beaux yeux, non tu as vraiment de très beaux yeux.

Comment j’ai perdu du poids? En fait j’ai subi une chirurgie bariatrique. Ma perte de poids n’est pas terminée, voilà pourquoi mes vêtements ne sont pas très ajustés. Je n’ai pas les moyens d’une garde-robe aux 3 mois, donc je m’habille à la friperie le temps que je maigrisse.

-ah!

-as-tu une femme dans ta vie?

-ben sur que non, ça ne marche pas fort avec les femmes. Elles n’aiment pas ma stature.

-ben moi j’adore tes yeux et je pense que sous ta grosse enveloppe, y a un mautadit beau gars.

-qu’est ce que tu en dis qu’on ferait un petit bout ensemble sans obligation, juste aller prendre des cafés, cinéma si tu aimes ça, etc. Et puis, je peux peut-être t’inspirer pour essayer de t’aimer et régler ton problème de poids. Et surtout qui sait, on peut devenir de grands amis.

C’était juste irréel.

Il balbutia un oui timide en rougissant comme une jeune fille.

Dans le fond de sa tasse de café, qu’il regardait fixement, gêné de la regarder dans les yeux, il vit naitre un petit bout d’espoir et décida de s’y accrocher.